samedi 26 janvier 2019

Les vrais amis des bêtes ne devraient pas avoir d'animaux de compagnie

Charles Danten


Paradoxalement, en s'affichant publiquement avec des animaux, 
BB fait la promotion de ce qu'elle prétend vouloir dénoncer : la consommation 
tous azimut des animaux. 
 Les m'as-tu-vu de la protection animale.

Nous tenons tous pour acquis que les animaux de compagnie sont bien traités, aussi bien sinon mieux que nos propres enfants. Or, la réalité est tout autre. Ce que nous faisons à nos petits compagnons, sous le couvert des bons sentiments et des bonnes intentions, est aussi cruel, sinon plus, par son hypocrisie et son apparente innocence que le gavage des oies et la chasse aux phoques.



Le problème principal se situe dans le concept même d’animal de compagnie. En raison du lien d’attachement que nous leur imposons, aucun animal de compagnie, par définition, ne peut atteindre un quelconque degré d’autonomie ou de maturité affective. Le maintien de cet attachement infantile devient l’élément déclencheur d’une anxiété chronique qui se traduit cliniquement par des troubles psychologiques très variés comme l'anxiété de séparation et les phobies.

Les problèmes liés à la domination comme l'agressivité, notamment des pitbulls mais de plusieurs autres races, de même que les maladies psychosomatiques engendrées par la domestication et des conditions de vie peu adaptées à la plupart des espèces sont aussi légion.

L'abus vaccinal pour des raisons strictement commerciales et financières tue des milliers d'animaux par année. Les maîtres sont complaisants, car ils ont besoin de ce moyen fort bien vu pour valider leur amour des animaux qu'ils exploitent, avec la complicité du vétérinaire, pour enjoliver leur vie souvent triste et fastidieuse.

Diverses mutilations chirurgicales, comme la stérilisation (castration et hystérectomie), l'onyxectomie des chats (ablation des griffes), la caudectomie, le taillage d'oreilles, l'ablation des cordes vocales, pour rendre les animaux plus attrayant et plus facile à contrôler entraînent d’innombrables souffrances aux animaux.

Pour l’amour d’une chanson et un peu d’exotisme, pour mettre un peu de piquant dans la vie morne et triste des citadins qui s'ennuient, les habitats et les incubateurs naturels du monde entier sont mis à feu et à sang par le commerce licite et illicite de la faune.

Les animaux domestiques de toutes les espèces sont affligés de caractéristiques anatomiques soigneusement planifiées qui font de leur vie un véritable cauchemar. Le sharpei, par exemple, ce chien d’origine chinoise élu le plus laid du monde, est recouvert d’un excès de peau deux à trois fois supérieure à la normale. Les replis cutanés excessifs des paupières obstruent sa vue et frottent en permanence contre la surface des yeux, c’est-à-dire la cornée, une des parties les plus sensibles du corps. Les dermatites chroniques des replis cutanés sont courantes, et les maladies génétiques de la peau empoisonnent la vie de ce chien de plus en plus populaire.


Dès qu’ils deviennent à la mode, les animaux de toutes les espèces font l’objet d’un élevage d’une grande intensité qui conduit rapidement à leur détérioration génétique et à une foule de sévices et d'abus.


Depuis quarante ans, à cause en partie de la piètre qualité des aliments pour animaux, l’espérance de vie des carnivores domestiques est en chute libre. Le cancer, les maladies osseuses, les allergies, les dérèglements du système immunitaire, les maladies digestives et hormonales (comme l’hyperthyroïdisme chez le chat âgé), les maladies des dents affligent de façon irréversible la grande majorité de nos amis les bêtes.

Des millions d’animaux sont détruits chaque année dans des refuges qui ne sont rien d’autre que des fourrières déguisées. Pour ne pas nuire aux affaires, la France, entre autres, ne donne aucune statistique sur ce sujet épineux, mais pour vous donner une idée, au Québec, par exemple, selon un sondage Léger (2014), on détruit plus de 500 000 chiens et chats par année, soit 25 % d’un cheptel de deux millions.

Du point de vue cognitif des animaux, quels que soient leurs résultats, les soins vétérinaires sont également une forme d’abus à rajouter à une longue liste de sévices. Pendant qu'une main les rend malades, de multiples façons, l’autre en tire profit, comme si de rien n’était. Cette schizophrénie suggère que notre préoccupation pour la santé et le bien-être des animaux sous notre joug répond beaucoup plus à nos propres besoins qu’à tout autre chose.

Et cette liste est loin d'être exhaustive. Lexploitation sexuelle des animaux par exemple, un sujet tabou, mais fort répandu dans notre société bien pensante, a aussi un impact négatif non seulement sur les animaux, mais aussi sur les humains

Voir à ce sujet en anglais : Krishnamurti and the Compassionate Face of Animal Cruelty



jeudi 20 septembre 2018

Une explication à la popularité du chat

Cet article a été publié dans la revue Harfang (vol. 7, no. 1
octobre-novembre, 2018).

Dès lors, les médecins et les chirurgiens aiment les bulls mastiffs; les machos, les chiens de combat comme le pitbull, le rottweiler et le doberman ; les amoureux de la nature, genre Jack London, les malamutes, le husky et le samoyède; les dominateurs, le berger allemand ; et ceux qui rêvent de noblesse et d’élégance, les lévriers afghans et le caniche royal. Autant de clichés qui font le plaisir des psychologues, mais qui contiennent aussi une grande part de vérité.

Mais qu’en est-il du chat ? Qui l’aime ? Ou plutôt qui s’aime en lui ? Qui se reconnaît en lui ?

Depuis le 18e siècle, sa popularité n’a fait qu’augmenter au détriment de celle du chien au point d’être devenu aujourd’hui beaucoup plus populaire que ce dernier. C’est assez surprenant lorsqu’on sait qu’avant son changement de statut, le chat était un animal de fonction utilisé uniquement pour chasser la vermine et rien d’autre. Méprisé, martyrisé à la moindre occasion, on allait même jusqu’à enfermer dans un sac une douzaine de ces pauvres créatures pour les brûler vivant dans les feux de la Saint- Jean. Et c’est peu dire.

Mais qu’est-il donc arrivé ? Comment expliquer ce changement de cap radical ?

Les ethnologues et les sociologues se perdent en conjecture. Les plus pragmatiques d’entre eux attribuent sa popularité à sa taille beaucoup mieux adaptée à la vie urbaine ; il n’est pas non plus obligatoire de le sortir faire ses besoins et il coûte moins cher à nourrir qu’un chien. D’autres pensent que c’est parce qu’il est silencieux, indépendant et parfaitement à l’aise avec les conditions qui lui sont imposées ; il adore, et c’est sans doute sa plus grande qualité, se faire caresser par ses maîtres qui trouvent dans cet acte un réconfort certain ; son ronronnement a par ailleurs la capacité d’apaiser les âmes tourmentées. Bref, selon les sociologues le chat serait l’animal de compagnie parfait en raison des qualités énumérées ci-dessus.

Mais une autre explication à la popularité du chat est plausible. Il est en effet possible que dans une démocratie ou les valeurs droit-de-l’hommistes de liberté, égalité et fraternité sont à l’honneur, les amoureux des chats projettent ces qualités sur leur animal qui serait à leurs yeux une incarnation vivante, une potiche, de ce qu’ils sont ou voudraient être : des humanistes férus de liberté, d’égalité et de fraternité.

En d’autres mots, avec la démocratisation des pulsions amorcées à grande échelle au 18e siècle, dont la particularité consiste à remplacer le conditionnement au fouet par le conditionnement à la carotte, le chat devient de plus en plus populaire parce qu’il se prête bien par sa nature à la tyrannie dégriffée par l’affection sous forme de récompenses. C’est du moins l’impression qu’il donne a priori à ses maîtres.

Sa discrétion, son silence, sa propreté et sa taille facile à manipuler et à contrôler, son ronronnement, son amour des caresses, et les sociologues sur ces points-là ont parfaitement raison, font de lui un animal de compagnie idéal, du moins pour ce qui est des sujets les plus dociles, les autres étant généralement détruits en bas âge. Dans tout système démocratique, une sélection s’effectue, c’est normal, et les moins obéissants et dociles sont éliminés graduellement en cours de route.

Contrairement au chien, le chat n’a presque pas besoin d’être discipliné activement. Une fois dégriffé et stérilisé, il est pour ainsi dire pacifié. Il n’a pas non plus besoin d’être mis en laisse puisqu’en général, il ne sort presque jamais de ses appartements. À l’intérieur de son territoire, il est plus ou moins libre d’aller où bon lui semble. Certains chats ont même accès à l’extérieur.

Comme c’est le cas pour les hommes vivant en démocratie, cet animal est asservi avec un minimum apparent de force, donnant l’illusion à ses maîtres qui se reconnaissent en lui, de ne pas être dominé, d’être là librement, volontairement, de s’y complaire et de ne pas souffrir de sa condition, au point d’en redemander.

Un état d’être terriblement flatteur pour les maîtres qui peuvent exploiter en toute quiétude un être vivant sans heurter leurs convictions libertariennes et l’image d’humaniste qu’ils se font d’eux-mêmes.

Mais ne vous y trompez pas, le régime aux caresses et aux croquettes rendues ultra- appétissantes par les rehausseurs chimiques de la saveur, autrement dit le régime de la carotte qui prime dans les sociétés occidentales est beaucoup plus débilitant que l’on croit, a priori.

Pour les chats qui n’ont pas d’exutoire, qui n’ont aucun accès à l’extérieur, qui souffrent d’ennui et du manque d’exercice ; pour ceux qui n’ont pas l’occasion d’exercer leurs instincts de prédateur ; ceux qui ne peuvent pas chasser l’anxiété chronique suscitée par la dépendance affective que cette avalanche de caresses et de croquettes suscite dans des délais très courts, le drame est terrible.

Le régime exclusif à la carotte infantilise cet animal à un degré extrême. Chez le chat adulte, cet état larvaire se traduit par une variété ahurissante de comportements névrotiques comme le ronronnement chronique, les problèmes de propreté, l’obésité morbide, les maladies chroniques de la vessie et du colon, le tic à l’ours, l’alopécie et la polydipsie nerveuse, le léchage compulsif et l’automutilation.

Naturellement, comme on dit dans ces cas-là, toute ressemblance avec les humains est une pure coïncidence !

Peu de gens font le lien entre ces maladies et le régime de la carotte principalement par méconnaissance de l’éthologie féline, mais aussi parce que dans notre culture, la cruauté et la volonté de puissance sont en général dissociées du monde de l’affection et du plaisir. Pour ces raisons, le chat passe pour l’équivalent d’un libre- penseur parfaitement bien adapté à sa condition.

Il est devenu plus populaire que le chien parce que dans les vieilles démocraties, notamment au Japon où l’art de la domination passive a presque atteint la perfection, le régime de la carotte surpasse désormais en importance le régime du fouet que l’on associe davantage au chien.

Une démocratie arrivée à maturité se sert, en effet, presque exclusivement du plaisir comme moyen de contrôle des pulsions. Cela explique pourquoi le consumérisme est notoirement prépondérant dans une démocratie, une forme de dictature subliminale, un totalitarisme soft décrit avec précision par Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes :
La dictature parfaite serait une dictature qui aurait les apparences de la démocratie, une prison sans murs dont les prisonniers ne songeraient pas à s’évader. Un système d’esclavage où, grâce à la consommation et au divertissement, les esclaves auraient l’amour de leur servitude...
En fin de compte, c’est donc l’amour de leur propre servitude que les adorateurs du chat projettent dans leur animal fétiche favori.