mardi 20 mai 2025

Manifeste

Charles Danten

Un vétérinaire en colère 

Prologue

La scotomisation


En raison de son importance, le moment est maintenant idéal pour revoir le phénomène de la scotomisation, un obstacle majeur à la compréhension, et donc, au changement. D’après le Petit Robert, la scotomisation est « l’exclusion inconsciente d’une réalité extérieure du champ de conscience; un déni de la réalité, une forclusion, un mécanisme psychique par lequel des représentations insupportables sont rejetées avant même d’être intégrées à l’inconscient du sujet (à la différence du refoulement) ». En d’autres termes, pour protéger ma dignité, mon statut et mon gagne-pain, j’ai fait l’autruche lorsque la vérité du commerce a commencé à saper mes convictions. Si je peux me permettre de paraphraser Upton Sinclair, il est difficile pour une personne de comprendre une chose si son salaire et son amour-propre sont conditionnels au fait qu’elle ne la comprenne pas. Nous avons dans notre psyché une immunité idéologique qui nous défend, inconsciemment, des idées qui peuvent menacer notre survie ou remettre en question notre équilibre psychique. Alors que nos sens captent le monde tel qu’il est, notre cerveau, dans l'ombre, fait un travail d'édition, un couper-coller, pour ajuster la réalité à l'idée qu'il s'en fait. Ce que nous voyons, lisons ou entendons est remanié pour concorder avec des notions apprises pendant notre apprentissage. Ainsi, la scotomisation joue un rôle de premier plan dont on mesure mal l’importance et expliquerait pourquoi les croyances et les traditions les plus absurdes sont si difficiles à changer. Je l'ai expérimentée de nombreuses fois. Lorsque j'étais vétérinaire, par exemple, je soulignais au crayon gras, dans les périodiques médicaux que je lisais, notamment sur la vaccination et la zoothérapie, uniquement les notions qui cadraient avec mes valeurs du moment, occultant tout un pan de la réalité contraire à mes convictions et à mes intérêts. Plus tard, lorsque la profession était derrière moi, cette dualité assez spectaculaire entre le bien (ce qui confortait mes certitudes) et le mal (ce qui menaçait mes certitudes) me sauta aux yeux quand je feuilletai ces mêmes périodiques, car je voyais désormais l’ensemble du texte. 

Pour surmonter le handicap de la scotomisation, je propose à mes lecteurs de lire ce livre deux fois : une première fois pour se familiariser avec son contenu et une deuxième fois pour l’examiner en détail et voir s’il ne contient pas quelques vérités. 


Pourquoi les animaux de compagnie ? 


Dans mes écrits, je me concentre exclusivement sur les animaux de compagnie, car je m'intéresse aux formes voilées de violence et de cruauté, celles qui se dissimulent derrière les bons sentiments et les bonnes intentions. Je le fais également par souci d’exactitude et de justice, car il serait faux de prétendre que cette catégorie d'animaux fait partie d’une classe privilégiée. Évidemment, pour ceux qui voient dans l’engouement actuel pour les animaux de compagnie une bonification de l’humanité, le signe d’une société plus compassionnelle qui se rapproche de plus en plus de son idéal humain, la démonstration est choquante, mais je n’y peux rien, les faits sont irréfutables. 

 

Les problèmes de fond 


Je me suis servi des animaux en toile de fond pour déconstruire les apparences, car c’est ce que je connais le mieux à titre de vétérinaire, mais dans ce livre, nos amis à poils et à plumes sont accessoires, mon véritable sujet étant l'homme. Par l’intermédiaire des bêtes, je m'attaque aux ennemis de toujours comme la pensée sophistique, la peur, les croyances, l’anthropomorphisme, le sentimentalisme, la superficialité, la duplicité, la corruption, l’avidité, la cupidité, l'opportunisme, le mimétisme et la bêtise humaine en général. 

Ce combat est celui de tout être humain qui se respecte. Je suis d’ailleurs convaincu qu’il est inscrit dans nos gènes et que c’est grâce à lui que nous avons pu survivre et prospérer jusqu’ici. 

En s’affranchissant de ces écueils, on change aussi bien la condition humaine que la condition animale, car les deux conditions sont intimement liées. Dans ce sens, je défends les animaux, mais indirectement, en les instrumentalisant symboliquement - ils ne m'en voudront pas, j'en suis sûr - afin d'essayer de changer la mentalité des humains sur qui dépend la condition animale. 


Ma méthode 


Dans ce livre, je remets fondamentalement en cause un ensemble de croyances religieuses et pseudo-scientifiques. À cette fin, je m’appuie sur mon expérience de vétérinaire, mais je pratique le retour aux sources, l’analyse critique et la vérification des faits pour confirmer ou infirmer mon opinion. Je relis un document vingt fois plutôt qu’une avant de me prononcer sur son contenu. Je m’évertue à croiser mes sources. Ma méthode par conséquent n’a rien à voir avec une quelconque idéologie, mais repose en grande partie sur des travaux scientifiques. Je chemine de la foi à la raison, du doute à la certitude. 


Mes mobiles 


Quand j’ai découvert l’imposture qui se cachait derrière l’amour prétendu des animaux, je n’ai eu de cesse que de la dénoncer. C’était en quelque sorte mon devoir civique et ma façon à moi de contribuer au bonheur du plus grand nombre, dans l’esprit de mon serment professionnel : « Je jure solennellement d’utiliser mes connaissances scientifiques et mon expertise au profit de ma société. » 

Naturellement, les animaux, des êtres aussi sensibles que vous et moi, font partie du plus grand nombre, mais même si je m’évertue à soulager leur souffrance, je n’éprouve pas envers eux un amour exagéré, voire suspect. Les animaux sont merveilleux, sans eux, le monde serait un cimetière, mais je ne les « aime » pas comme tout le monde, c’est-à-dire au bout d’une laisse ou dans une cage. Je les respecte pour ce qu’ils sont, mais à la place qui leur est dévolue, dans leur milieu biologique, à quelques exceptions près, pour des raisons vitales d’intérêt public. 

Je ne leur fais aucun mal pour des raisons futiles comme me valoriser, me mettre en valeur, chasser l’ennui, me divertir, m’enrichir ou me goinfrer. Je suis contre le végétarisme vu comme un faire-valoir humaniste, un moyen d’évoluer spirituellement ou un mouvement organisé avec ses chefs, ses collectes de fonds et ses militants. Je me méfie comme de la peste de tout mouvement organisé, car ces mouvements finissent généralement par manger dans l’écuelle du diable. Je n’appartiens à aucun groupe de « défense » des animaux et je m’en dissocie, car sous leurs airs de Saint François d’Assise, ces idiots utiles œuvrent inlassablement à la protection et à la promotion de ce qu’ils prétendent vouloir changer. Les végétaliens, par exemple, ont tous des animaux de compagnie, ce qui pour moi est totalement contradictoire compte tenu des valeurs affichées de cette confrérie. 

J'accorde beaucoup plus d'importance aux humains qu'à nos amis à quatre pattes. Je sais très bien faire la différence entre un bébé et un chiot. Je ne mélange pas les appellations. Un chien sera toujours pour moi un chien et non un enfant. L'humanisation des animaux à des fins idéologiques, pour augmenter leur valeur marchande et leur popularité ou pour les valoriser et les faire respecter davantage est une très mauvaise idée, et nous verrons pourquoi tout au long de ce livre. 


Les nuances 


Pour réaliser mes objectifs, je ne gaspille pas mon temps à nuancer mon propos en faisant l’apologie du « positif » pour ne pas en froisser ses adeptes. Le « positif » est notoire, on en entend beaucoup parler dans les médias et dans la bouche de ceux qui ne jurent que par lui, inutile donc de jeter de l’huile sur le feu et d’alourdir mon propos. D’autant plus que quelques points « positifs » ici et là ne changent rien aux problèmes de fond. 

 

Les solutions 


Mon intention n’est pas d’interdire ou d'abolir quoi que ce soit, de pontifier, de menacer ou de jouer au plus malin. Les vérités imposées par la force et la manipulation conduisent irrémédiablement à la duplicité. J’en appelle plutôt à la raison et au libre choix. En d'autres mots, la solution que je propose n'est pas politique, mais individuelle. Elle est le fruit de la compréhension des phénomènes que j’explique entre autres dans mes écrits. Comme le dit l'adage chinois, « la solution de tout problème est dans sa compréhension ». 

En s'affranchissant notamment des idées fausses que je décris dans ce livre, on change non seulement la condition humaine, mais aussi la condition animale, car celle-ci est une transpo-sition inconsciente de la condition humaine, « le moule en creux et en relief des relations entre les hommes », selon le mot de Jean-Pierre Digard, ethnologue et anthropologue français, spécialiste de la domestication. 

Pour le dire en langage informatique, mes écrits sont des sortes d'antidotes aux virus, cheval de Troie et malwares qui se sont implantés, subrepticement, au fil du temps, dans nos banques de données neuronales. Encore faut-il laisser le « logiciel » de déprogrammation travailler librement en laissant ses pré-jugés de côté le temps de comprendre ce dont il est question (voir la scotomisation). Ce que vous ferez ensuite avec cette nouvelle compréhension n'est pas de mon ressort. 

 Il appartient à chacun par conséquent d'explorer la question et de trouver ses propres solutions à l'intérieur de sa propre vie et selon son entendement. Même si je ne suis pas neutre, mon rôle se limite à réduire l’écart entre les apparences et la réalité et entre les valeurs affichées et les valeurs pratiquées pour que tout le monde puisse s’y retrouver. 

À moins de vivre le plus près possible de la réalité, il est en effet impossible de prendre les décisions qui s'imposent dans une situation ou un contexte donné. 


La lucidité 


Lorsque vous avez véritablement exploré la question, lorsque vous avez vu le portrait d’ensemble et saisi clairement le fond des choses (comment sont agencés les morceaux du puzzle), la solution s’impose à vous, sans que personne n’ait à vous l’imposer. Cette prise de conscience est en soi la solution tant attendue aux problèmes qui sont exposés dans ces pages. Contrairement au monde technique ou matériel, le changement psychologique, et c’est bien ce dont il est question, ne s’obtient pas par un effort de volonté, une politique des petits pas ou le réformisme. Il s’opère instantanément à la suite d’un moment de lucidité ou d’une prise de conscience. C’est d’ailleurs ce qui m’est arrivé. Lorsque j’ai vu, de mes yeux vus, les dessous cachés du rapport entre les humains et les animaux, je me suis retrouvé instantanément changé. Ce résultat était complètement imprévisible ou non-anticipé, le sous-produit d’une démarche qui consistait à explorer en moi-même les comportements que je décris dans ce livre. Mais il faut s’y consacrer avec une intensité où la médiocrité et la peur sont exclues. En d’autres mots, à moins d’examiner la question attentivement, sans concessions, sous tous ses angles, vous passerez à côté de sa signification pour retomber dans l’immobilisme. 

En général, ceux qui exigent tambour battant des solutions toutes faites ne souhaitent pas changer véritablement. Ils veulent uniquement travailler à l’intérieur du statu quo. Ainsi, pendant qu’ils sont occupés à changer, ultérieurement, à une date non précisée, en général le plus loin possible dans le futur, ils continuent d’agir comme ils l’ont toujours fait. Le but n’est pas le changement, mais l’espoir du changement avec les bonnes émotions qu’il procure à petit prix. 


Clarification au sujet de la domestication 


Je ne préconise pas du tout la remise en liberté des animaux domestiques. La plupart d'entre eux seraient incapables de survivre par eux-mêmes tellement ils sont dépendants et infan-tilisés. Cette solution se traduirait en outre par des problèmes écologiques catastrophiques. Cela dit, la domestication n’est pas une finalité ayant eu lieu il y a environ 10 000 ans. On domestique les animaux tous les jours entre autres en les nourrissant et en les faisant obéir. Il est par conséquent très facile d’en sortir. Il s’agit tout simplement d’arrêter d'y contribuer. C’est une simple question d’offre et de demande. Ainsi, à la mort de son animal, par exemple, si tel est son souhait, une personne peut très bien décider, de son propre chef, en toute connaissance de cause, de ne plus souscrire à la barbarie à visage souriant que je mets en lumière dans ce livre. Comme le dit La Boétie : « Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libre. » C'est aussi simple que cela. 

 Le monde s’en portera bien mieux, car un lien indéniable existe entre le traitement des animaux et d’autrui. La domestication est l’archétype des sociétés esclavagistes et des rela-tions interhumaines en général (1) ; ce qui veut dire en termes concrets que les méfaits de cette relation de propriétaire à propriété passent inaperçus, tout simplement parce qu’il n’y a pas dans notre psychologie d’autre point de référence comportementale pouvant servir de comparaison. À l’intérieur des limites permises par la loi et par la bienséance, nous agissons, en essence et non dans la forme, avec les uns comme avec les autres. Et c’est précisément le problème. Grand nombre de parents, par exemple, une fois passé l’attrait du nouveau, n’abandonnent pas leurs enfants dans des fourrières comme ils le feraient avec un animal, mais les abandonnent volontiers, symboliquement, en les négligeant, voire en les livrant, sans aucun état d’âme, à l’ogre social qui les décervèle pour entre-tenir une logique marchande tous azimuts que nous aurions avantage à abandonner compte tenu des conséquences écolo-giques, sociales et géopolitiques. 


Références 

1. André G. Haudricourt, "Domestication des animaux, culture des plantes et traitement d’autrui", L’Homme; 2 (1): 40-50, 1962.