jeudi 11 décembre 2025

Les problèmes psychologiques chez les animaux

Un vétérinaire en colère 

Charles Danten © 2015 

CHAPITRE 5 

La libération de Willy 
Les conditions psychologiques de la captivité 


Vous connaissez sûrement l’histoire de Keiko, orque apprivoisé et charmant héros du film Mon ami Willy (ou Sauvez Willy en France), mais ce que vous ignorez probablement, c’est qu’il est mort le 14 décembre 2003 dans des circonstances tragiques. 

Né au large des côtes de l’Islande, Keiko, dont le nom signifie « celui qui a de la chance » en japonais, fut capturé en bas âge par l’industrie des parcs d’attractions marins. Remarqué pour sa nageoire dorsale singulièrement tombante et sa nature bienveillante – Keiko adorait la compagnie des humains –, il obtint le rôle principal du film Mon ami Willy. 

Ce film raconte l’histoire d’un petit garçon qui se lie d’amitié avec un orque maintenu en captivité qu’il encourage à reprendre sa liberté en l’incitant à sauter par-dessus le mur de sa prison. L’histoire émut tant le public que la production en réalisa deux suites. 

La célébrité ne protégea toutefois pas Keiko qui fut envoyé, à la fin de sa carrière, dans un parc d’attractions mexicain où il devait languir pour le restant de sa vie dans des conditions sordides. 

Un jour cependant, Jean-Michel Cousteau de la Ocean Futures Society et un groupe d’hommes d’affaires chevronnés en décidèrent autrement. Ils mirent sur pied la Fondation Free Willy et organisèrent une collecte de fonds. Grâce à la popularité du film, il fut facile de convaincre ses millions d’admirateurs de contribuer généreusement à la réhabilitation et à la libération de Keiko. Une vingtaine de millions de dollars furent ainsi amassés sans délai. 

Dans un premier temps, on mit Keiko dans un avion à destination des États-Unis où on l’aida à se refaire une santé dans un aquarium. Puis, deux ans plus tard, on l’amena en Islande où on l’incita à se réadapter à son nouveau milieu. On lui apprit à capturer lui-même son poisson et on l’encouragea petit à petit à se mêler aux orques sauvages. En 2002, les résultats furent jugés satisfaisants et on le lâcha dans la nature. 

À la surprise de ses gardiens, Keiko, quelque peu déboussolé par sa liberté nouvellement retrouvée, nagea environ 1 000 kilomètres d’une traite jusqu’à la côte ouest de la Norvège où il s’installa vers la fin de l’été près d’un petit village de pêcheurs appelé Halsa. Une fois sur place, il était tellement agité qu’il en devint boulimique. 

Les biologistes qui le suivaient à la trace à l’aide d’un émetteur implanté dans sa nageoire lui donnaient plus de 80 kilos de poissons par jour. Il dut ainsi, jusqu’à son dernier souffle, être nourri à la main. 

En un rien de temps, Keiko, l’orque de sept mètres et demi devint la vedette locale. Pas un jour ne passait sans qu’on vienne admirer ce gentil géant des mers qui se laissait littéralement marcher sur le dos par tout le monde, au point où les autorités durent interdire aux curieux de s’en approcher pour ne pas nuire à ses chances de s’acclimater à la vie sauvage. On pensait qu’en le coupant de l’attention des humains, il irait plus facilement vers les siens. Grosse erreur! 

Véritable « poisson domestiqué », rien ne plaisait davantage à Keiko que la compagnie des humains. Après 25 ans de captivité, il était irrémédiablement attaché et lié à ses maîtres. En décembre 2002, pour lui donner une dernière chance de retourner à la vie sauvage, ses gardiens le déplacèrent à Taknes, une baie isolée située sur une route migratoire d’orques sauvages où l’eau était assez profonde pour ne pas y geler l’hiver. 

Keiko sortait de sa cage régulièrement, mais ne voulait pas se mélanger à son espèce. D’après un participant à l’opération, il semblait comprendre le langage des autres orques, mais semblait désorienté. 

Un beau jour de février, Keiko s’écarta de la baie et se retrouva coincé sous la glace pour la première fois de sa vie. Pris de panique, ne sachant pas comment utiliser ses sonars, il se blessa en essayant de s’en sortir. On vint à sa rescousse avec des remorqueuses et des grues flottantes, mais il resta pris au piège. Quelques semaines plus tard, « celui qui avait de la chance » est mort d’une pneumonie. 

J’étais consterné. Toute personne moindrement renseignée sur les animaux aurait pu prévoir un tel dénouement. Extrêmement dépendant et irréparablement attaché aux humains, Keiko était incapable de survivre ailleurs que dans sa prison. Comme quoi les chemins de l’enfer sont pavés de bonnes intentions… 

*** 

Peu de gens sont conscients du phénomène biologique de l’empreinte, qui conduit un animal, dès sa naissance ou peu après, à s’identifier et à s’attacher à la première chose qui bouge dans son entourage immédiat, et ce, pendant une période d’exposition relativement courte. Ce que nous prenons alors pour de l’amour et de la fidélité au sens propre est en fait la simple manifestation d’un mécanisme biologique génétiquement programmé grâce auquel nous avons pu apprivoiser et domestiquer les animaux. 

 Chez certaines espèces comme le chevreuil, cette attirance pour les objets en mouvement est si forte que les faons, cachés dans l’herbe par leur mère qui n’est jamais bien loin, vont se lever spontanément pour se mettre à suivre le premier venu qui passe dans leur champ de vision. Mais au cas où ça vous arriverait, ne vous imaginez surtout pas que vous avez un don ou un pouvoir quelconque sur les animaux. Les animaux sauvages ne sont pas naturellement attirés par nous. Il s’agit en quelque sorte d’un cas d’erreur sur la personne. La meilleure chose à faire est de passer votre chemin, en laissant le faon aux bons soins de sa mère, le seul être en mesure de l’élever convenablement, selon les prérogatives de son espèce.

L’attachement 


Pour s’intégrer donc, et survivre dans son milieu, il est essentiel qu’un animal s’identifie et s’attache à sa mère dès son plus jeune âge. À son contact, inconsciemment, l’image de la mère, sa silhouette, son odeur et le son de sa voix s’imprègnent dans la mémoire du petit. La mère devient un repère et une présence rassurante qui lui permettront de partir à la découverte de son environnement et d’apprendre son mode d’emploi. 

 Pendant cette période de socialisation, l’animal apprend à reconnaître notamment les membres de son espèce, leur sexe et la nourriture dont il aura besoin pour survivre. En cas de danger, le petit se repliera toujours vers sa mère. La perte de contact ou toute tentative de séparation déclenche une détresse qui se traduit, chez le petit comme chez la mère, par des manifestations variées d’anxiété, comme la vocalisation excessive, l’hyperactivité et, si la séparation dure, une perte de sommeil et d’appétit, l’énurésie et l’encoprésie. 

 Cette période d’attachement, décrite pour la première fois par Konrad Lorenz (1), a lieu à des moments spécifiques et sa durée varie selon les espèces; chez le chien et le chat, elle s’étend sur plusieurs semaines, et chez l’oiseau, sur une période très brève qui débute dès l’éclosion de l’œuf. Un chien âgé de trois mois n’ayant jamais connu l’homme serait quasi impossible à apprivoiser. Chez l’homme, cette période d’imprégnation dure environ de 6 à 8 ans. Chez les cachalots et les ours, elle dure environ deux ans. 

 L’attachement, dans des conditions normales, est toujours suivi du détachement, ce qui permet au jeune de devenir un adulte et de prendre sa place dans l’environnement. La mère, à un moment donné, cesse de répondre aux attentes et aux sollicitations constantes du petit et commence à prendre ses distances. La relation se transforme alors en relation sociale et le mécanisme de l’empreinte s’atténue. 

Un transfert lourd de conséquences 


Lorsque les petits des chiens ou des baleines, par exemple, qui sont des animaux grégaires,sont adoptés par l’homme, ils transfèrent sur celui-ci non seulement l’attachement que tous les chiens et les baleines manifestent envers un chef de meute, mais l’attachement qu’ils ressentent naturellement pour leur mère. La dévotion que ces animaux ressentent pour leur maître a donc deux sources : l’une génétique et l’autre acquise au contact du maître. Ce dernier devient pour eux une mère de substitution, mais ce nouveau lien artificiel entre la bête et l’homme n’est jamais suivi comme il se devrait par le détachement. Au contraire, toute la dynamique des interactions entre les humains et les animaux, notamment de compagnie, s’appuie sur le maintien de cet attachement, ce qui entraîne une dépendance affective contre nature devenue une fin en soi. 

Or, l’entretien de ce lien d’attachement sous sa forme infantile devient l’élément déclencheur d’une anxiété permanente. Celle-ci peut se traduire cliniquement par des troubles psychologiques très variés et par une foule de maladies psychosomatiques, dont les déman-geaisons chroniques, la diarrhée, les vomissements chroniques, les colites (inflammation du gros intestin) et, chez le chat, par des inflammations de la vessie (cystite interstitielle). Il va sans dire que toutes ces maladies n’existent pas chez les animaux sauvages vivants dans leur milieu naturel. 

Tous les animaux sont sensibles, aussi bien les poissons que les reptiles. Les espèces grégaires, comme le chien et son ancêtre le loup, les cétacés (baleines, dauphins, cachalot) et les oiseaux de la famille des perroquets, lorsque totalement identifiés à l’homme, sont affectés. Mais le plus affecté est sans contredit le chat, un animal de compagnie dressé exclusivement par l’affection sous forme de caresses et de croquettes ultras succulentes, ce qui a pour effet de créer une dépendance affective en un temps record.   

La dépendance affective 


L’angoisse qu’éprouvent à la suite d’une séparation les animaux émotionnellement dépendants, peu importe leur âge, ressemble à celle qu’éprouve le jeune enfant soudainement séparé de sa mère et dont la survie est menacée. Leur bien-être dépend de cette attention et comme de véritables drogués affectifs, ils utilisent, comme le font aussi les enfants, toutes sortes de moyens pour l’obtenir. 

Ils se grattent ou se lèchent continuellement pour attirer l’attention du maître qui, en manifestant sa sympathie, perpétue par ignorance ce comportement, qui devient alors une habitude si bien ancrée et compulsive qu’il faut recourir aux médicaments pour l’arrêter. L’allergie saisonnière aux pollens, une condition fréquente chez les chiens en particulier, se poursuit parfois, pour cette raison, bien au-delà de sa saison de prédilection. Ils font semblant d’avoir mal à une patte, ils toussent pour éveiller la sympathie et établir une interaction, ils demandent la porte sans arrêt, ils miaulent, ils aboient ou font tomber des objets. Ils deviennent malpropres ou se révoltent pour obtenir une réaction verbale du maître ou même une bonne fessée qui, curieusement, procure du bien-être. Tout sauf être ignoré. 

Comme un toxicomane brutalement privé de sa drogue, l’intoxiqué affectif souffre d’un état de manque parfois intolérable en l’absence du maître, la source de son équilibre affectif, et qui donne lieu à des stratégies étranges de compensation. Les chiens, tel un chanteur rock endiablé, tentent en aboyant et en hurlant à la mort de signaler leur détresse et de faire revenir près d’eux la source de leur bien-être. Hypernerveux, atterrés par le vide causé par cette absence de gratification, ils vont et viennent dans la maison incapable de contrôler leurs fonctions vitales. Cherchant à fuir une situation intolérable, ils mordent et grattent désespérément les cadres de porte et les murs adjacents. Par frustration, ils mangent leurs ongles et détruisent les meubles. Les chats adultes ronronnent comme des chatons, urinent en dehors de leur litière, souvent sur les habits du maître ou sur son lit, là où se trouve son odeur. Les perroquets se mettent à « philosopher » où à crier, à s’arracher les plumes jusqu’au sang et parfois jusqu’à l’os. Les chats et les chiens se lèchent jusqu’à l’ulcération. Certains expriment cette souffrance d’une façon moins spectaculaire en mangeant excessivement (boulimie), par exemple, et en buvant continuellement ou en se masturbant. D’autres comme Keiko se mettent à nager jusqu’au bout du monde. 

Ces comportements de substitutions sont des manifestations exagérées de certains besoins fondamentaux comme communiquer, explorer le territoire, manger, boire, se laver et se reproduire. Ces réactions névrotiques procurent à l’animal un soulagement temporaire; à la longue, subrepticement, à force d’être trop utilisées, elles deviennent des habitudes (stéréotypie) qui se manifestent d’une manière compulsive et incontrôlable même dans des situations normales et non menaçantes. Bref, à force de solliciter ainsi l’attention et l’affection, l’animal voit son régulateur émotif se détraquer. Rien ne va plus (2). 

La domination 


Chez les espèces grégaires, le besoin de dominer est inné, et les règles de la domination sont apprises par le contact avec leurs semblables. Dans un groupe ou une meute, dans des conditions naturelles, ceux qui dominent sont en général ceux qui sont les mieux adaptés à l’environnement et les plus aptes à assurer la survie de l’espèce. 

Certaines espèces possèdent une organisation sociale hiérarchisée assez complexe. Chez le loup, par exemple, un mâle et une femelle alpha occupent le haut de la pyramide. Ce sont les seuls à se reproduire et ils transmettent ainsi leurs gènes aux générations futures. Les places dans la hiérarchie ne sont cependant pas données une fois pour toutes, et chaque membre du groupe essaye constamment d’obtenir une position de plus en plus élevée au sein de la meute. Le chef est défié et, de saison en saison, sa position dans la meute est remise en question. 

Cette facette du comportement animal dans un contexte non naturel est toutefois la cause de nombreux problèmes psychologiques. En effet, les animaux agissent de la même façon avec leur meute adoptive, mais ce comportement devient superflu, non nécessaire et très problématique comme bien d‘autres d‘ailleurs dans un tel contexte. Le chien (ou le perroquet) idéal est celui qui plaît au bas de l’échelle sociale de sa meute humaine. Il doit se plier à la volonté des enfants comme des adultes. Un animal qui a un caractère un peu trop dominateur et qui ne se soumet pas à cet ordre des choses s’expose à être puni ou abandonné (3). 

L’ambivalence 


Élevés à notre contact dès la naissance, les animaux deviennent « bilingues et aussi à l’aise avec nous qu’avec les membres de leur propre espèce », écrit Desmond Morris, ils sont en mesure d’apprécier les deux genres de relations. Il est tout à fait possible qu’un animal de compagnie vive une vie idéale qui lui permet de donner libre cours à sa nature tout en obtenant les soins que nécessitent ses problèmes de santé. Le meilleur des deux mondes et un bon contrat pour tous les intéressés, (4) » 

Or, contrairement aux assertions de Desmond Morris, la vie des bêtes n’est pas de tout repos. Tout animal a non seulement une nature propre, mais aussi des comportements qu’ils a acquis pendant les quelques semaines qu’il a vécu avec sa mère et ses semblables, entre sa naissance et son adoption. Ces quelques semaines sont suffisantes pour qu’il prenne des habitudes qui ne seront pas les bienvenues dans son milieu d’adoption. 

 Au fond de chaque animal, à l’exception de quelques individus complètement dénaturés et hyper domestiqués, il y a en effet une bête sauvage qui ne demande qu’à s’exprimer. Le but principal de l’éducation et de la socialisation par l’homme est de civiliser cette bête qui dérange dans un milieu qui n’est pas le sien. Chaque interaction avec l’animal apporte son contraire, et cette ambivalence le rend anxieux et psychologiquement déséquilibré. En voici quelques exemples :
 
– En laissant les animaux se coucher sur le divan ou le lit, en les laissant manger près de nous et en les regardant faire, en les couvrant de caresses et en les entourant d’attentions, nous leur démontrons inconsciemment tous les égards auxquels a droit un animal dominant, mais nous les punissons lorsqu’ils tentent d’en faire valoir les prérogatives.
 
 – Par nos sollicitudes affectueuses constantes, nous les amenons à s’attacher à nous très profondément, mais nous n’hésitons pas, quand cela nous arrange, à les laisser seuls des heures, voire des journées entières, enfermés dans une pièce ou une cage à attendre notre retour. Pendant les jours fériés et les vacances, les chenils sont pleins de laissés-pour-compte, traumatisés par cette séparation brutale et inattendue.
 
 – Ils doivent défendre le territoire de leur maître humain, mais ils ne doivent pas sauter sur les invités ni se comporter d’une façon qui pourrait les intimider. Ils ne doivent pas empêcher les étrangers, comme le facteur par exemple, de circuler librement à l’intérieur de la propriété et ils ne doivent pas non plus aboyer lorsque des gens passent à la périphérie.
 
 – On les incorpore contre leur gré à la société humaine, mais ils ne doivent pas avoir envers ses membres des comportements de nature sexuelle. 

– Ils doivent laisser les enfants les molester sans chercher à se venger. 

Pris dans un cul-de-sac, incapables de fuir, ils tentent, en vain, de s’adapter. Les plus atteints deviennent au début hypernerveux et hyper vigilants, à l’affût des moindres mouvements dans la maison. Les stimuli autrefois bien tolérés, comme le tonnerre et certains autres bruits, les font réagir d’une façon démesurée et parfois incontrôlable. Puis, ils en viennent à acquérir des comportements compensatoires comme l’automutilation et finissent par présenter des problèmes neuro-végétatifs qui se manifestent par de la diarrhée, des problèmes urinaires, etc. L’animal peut éventuellement souffrir de dépression grave. Il ne bouge plus, sauf pendant la nuit, il ne dort plus et il devient malpropre. Son système immunitaire s’effondre et il tombe malade. Ces signes traduisent une anxiété chronique et un état d’inhibition extrême (5). Les maladies psychosomatiques touchant les animaux de ferme et les humains sont bien connues, mais, par manque d’intérêt, elles ont été peu étudiées chez les animaux de compagnie (6). 

La peur 


L’agressivité en captivité est beaucoup plus fréquente qu’on ne l’imagine. Le nombre de morsures et d’attaques rapporté est un pâle reflet de la réalité. La peur et le besoin de dominer chez certaines espèces comme le chien sont les raisons principales de cette violence et le manque d’éducation, sa cause première. 

 Il est donc primordial d’habituer l’animal à un âge variant selon les espèces aux situations du quotidien les plus diverses, car une fois que cet âge est dépassé, la peur s’installe et elle pousse instinctivement l’animal à éviter toutes les nouvelles situations, même celles qui ne présentent aucun danger. 

De fait, la peur est un mécanisme de survie naturel qui permet d’éviter tout ce qui est potentiellement dangereux et menaçant. Ce mécanisme empêche les animaux de trop s’approcher de choses ou de lieux inconnus de façon à les préserver de blessures et à ne pas mettre leur sécurité et la survie de l’espèce en danger. 

 Or, la plupart des animaux de compagnie viennent des élevages industriels. Ces jeunes animaux, parqués dans des cages en attendant d’être vendus, isolés, négligés, laissés seuls, sans stimulations sensorielles, sans contact avec les humains et l’environnement, se développent mal et font de piètres sujets d’adoption. Les éleveurs, par souci de rentabilité, produisent à la chaîne des animaux très mal socialisés et incapables de s’adapter aux conditions de captivité. Les éleveurs amateurs et semi-professionnels qui gardent les jeunes animaux le plus longtemps possible afin de choisir pour eux-mêmes les meilleurs de la portée méritent aussi le blâme. Par ignorance et par cupidité, l’éducation des animaux est parfois négligée à un âge critique. Lorsqu’ils sont vendus, il est déjà trop tard. Ces animaux, excessivement craintifs et nerveux, se replient sur eux-mêmes à la moindre menace, cherchent à s’enfuir et tentent d’éviter toute atteinte à leur espace vital. Les animaux ont en effet une zone de confort spécifique, un périmètre à l’intérieur duquel ils se sentent en sécurité, et lorsque les limites de cette zone sont franchies, ils éprouvent de la crainte. Si la menace persiste ou si la distance diminue, un point de non-retour est atteint, et l’animal, dans l’impossibilité de fuir, deviendra alors agressif. Dans certains cas, incapable d’agir ni de fuir, il adopte des comportements compensatoires. Les maîtres, ignorant la psychologie des bêtes, ne font que renforcer cette peur et provoquer des perturbations pathologiques plus ou moins graves. La captivité rend certains sujets très anxieux, voire catatoniques, boulimiques ou anorexiques. 

Les serpents n’aiment pas être manipulés, c’est une atteinte très grave à leur bien-être qui engendre chaque fois une grande anxiété et donne lieu à des réactions parfois très violentes. 

Les oiseaux mal apprivoisés ou sauvages de la famille des perroquets, par exemple, réagissent par des cris et des menaces d’une violence inouïe dès que l’on viole leur espace vital. Les morsures sont fréquentes et très douloureuses; le bec d’un oiseau tel l’inséparable, malgré sa petite taille est d’une puissance surprenante, tout comme celui des perroquets amazones et aras qui peuvent vous sectionner un doigt sans difficulté. Près de 99 % des oiseaux de la famille des perroquets qui vivent en captivité restent sauvages et sont potentiellement très dangereux. 

Les chiens qui ont tendance à mordre, pour toutes sortes de raisons, mais surtout parce qu’ils ont peur, sont une source de problèmes d’ordre civil. 

Décoder cette peur est relativement facile dans le cas des espèces plus familières, mais pour les autres, peu de gens savent en déchiffrer les symptômes, et ces animaux, à bout de force, épuisés par une existence invivable, ne survivent pas longtemps (7). 

Le consommateur inconscient et ignorant achète ces animaux incapables de lui donner satisfaction. Dans un certain sens (du point vu du maître), ce n’est pas trop grave s’il s’agit d’un animal qui va passer sa vie dans une cage ou un vivarium, mais dans le cas d’un animal de compagnie plus intime, comme un cochon d’Inde, un perroquet, un chien, un hamster ou un chat, les répercussions sont souvent désastreuses. Un nombre incalculable de ces bêtes sont abandonnées ou mises à mort parce qu’elles ne coopèrent pas ou sont agressives. 

Les écoles de dressage 


Les écoles de dressage essaient, par diverses méthodes coercitives, dont certaines sont d’une grande violence, de corriger des comportements indésirables, mais elles ne font, par ignorance, qu’empirer la situation. L’apprentissage des commandements de rigueur – au pied, assis, couché –, de même que la punition ont un effet néfaste sur ces animaux déjà déséquilibrés au départ. Ils risquent de ne jamais être capables de s’adapter, de prendre une place heureuse en société. Sans remonter à la source de ses problèmes, il est impensable d’amener un changement significatif. Les vrais enjeux sont le besoin de dominer, l’ennui, la solitude, l’infantilisme dû à la dépendance, la peur dénaturée, le manque de socialisation, l’ignorance.   

Les soins psychiatriques aux animaux 


Est-il surprenant, dans ces conditions, que les résultats des thérapies comportementales soient si mauvais ? Le trouble de l’animal psychologiquement perturbé est dû à la domestication et à la dépendance affective subséquente. La thérapie de l’intervenant en compor-tement n’a pas pour but de le soigner, car en dehors de cette dynamique, la relation n’a plus de sens et devient inutile. Les gens possèdent un animal précisément pour recevoir et donner de l’affection. Par conséquent, l’objectif de ses thérapies se limite à aider le patient plus ou moins en crise à reprendre du service, autant se faire que peu. 

 En d’autres termes, le psychologue pour animaux s’adresse à la maladie psychologique découlant des contradictions inhérentes à la domestication non pour la guérir, mais pour en atténuer les symptômes le plus vite possible, suffisamment du moins pour rendre le patient capable de fonctionner à l’intérieur des limites imposées par son maître. Désabusé par un taux de succès pitoyable, il faut le dire, les psychiatres des bêtes, de plus en plus nombreux, s’emploient à soigner cette épidémie de névrosés à coup de médicaments psychotropes comme le Prozac (fluoxétine, la pilule du bonheur), le Valium et l'aminotryptaline, trois des antidépresseurs les plus employés en médecine vétérinaire. 

 Évidemment, la thérapie est vouée à l’échec, l’origine du malaise étant située dans une dynamique relationnelle faussée dès le départ, et que rien au monde ne pourra jamais redresser. La plupart des animaux les plus visiblement atteints, ceux qui répondent mal à la médication que les maîtres sont d’ailleurs souvent incapables d’administrer correctement, seront abandonnés puis détruits incognito dans une des nombreuses déchèteries mises à la disposition du public. Les autres languiront leur vie entière à attendre le bon vouloir de leur propriétaire. 

L’infantilisme 


Ce qui vient d'être décrit est d'une importance capitale pour comprendre la véritable nature du rapport à l’animal, ce que les Anglophones nomment fièrement, The Bond. En réalité, ce que nous méprenons pour de l'amour n'est qu'une dépendance et un asservissement infantile réciproques, car pour initier, entretenir et trouver du plaisir dans ce genre de relation, il faut être soi-même dépendant et infantilisé. L'étendue de cette dépendance est directement proportionnelle à la place qu'occupe cette relation dans la vie affective d'un individu. Une séparation réelle ou anticipée devient pour le maître, comme pour un petit enfant, un sujet d'angoisse parfois dramatique, car c'est littéralement une partie de lui-même qui est menacée. Dans certains cas extrêmes de dépendance, la mort ou la disparition de l'objet d'affection est ressentie comme une véritable amputation. Les vétérinaires sont témoins tous les jours de ces drames affectifs qui dépassent en envergure toute commune mesure. 

En conclusion, je n’ose pas affirmer qu’il n’y a pas d’animaux de compagnie heureux, mais s’ils existent, ils sont peu nombreux. Le bien-être dans une relation de dépendance n’est possible que si tous les besoins du dépendant sont parfaitement satisfaits. Or, dans le cadre de la captivité, cette condition ne peut être remplie que rarement ou partiellement. Selon le Dr Annon, un chercheur américain cité par la psychologue pour animaux, Karen L. Overall, 1 % seulement des gens connaissent les besoins biologiques et les comportements normaux et anormaux des animaux à qui ils imposent la captivité (8). Les seules exceptions sont peut-être le chat et le chien qui vivent à la campagne et qui ont un accès libre à l’extérieur; ceux-là peuvent mener une vie plus normale, et encore! 

Références 


1. Lorenz Konrad (1970), Il parlait aux mammifères, Flammarion. 
2. Richard Beaudet (2009), Cours de formation spécialisée sur les problèmes de comportement canin. Clinique de comportement canin; The Association of Pet Behavior Counselors (APBC - on y trouve une revue annuelle de cas et différents autres dossiers pertinents); P. Pageat (1995), « Confort et bien-être des carnivores domestiques », Point Vétérinaire; 26 (165); C. Beata (1997), « Les maladies anxieuses chez les carnivores domestiques », Point Vétérinaire; 28 (180): 67; V. Dramard et L. Hanier (1996), « La dépression réactionnelle chez le chat », Point Vétérinaire; 27 (173); A. C. Gagnon (1997), « Les cystites félines d’origine émotionelle », Point vétérinaire; 28 (181): 1097-1101; Karen L. Overall (1996), « Separation anxiety and anxiety related disorders », American Animal Hospital Association Proceedings (AAHA); (1997), Clinical Behavioral Medicine for Small Animals, Mosby; Joël Dehasse et Colette de Buyser (1983), Mon chien de 0 à 6 mois, Éditions de l’Homme. 
3. APBC, Ouvr. cité; Richard Beaudet, ouvr. cité; Benjamin Hart (1997), « Raising and caring for dogs to avoid problem aggression », Journal of the American Veterinary Medical Association; 210 (8); Nicholas Dodman et al (1996), « Influence of owner personality type and treatment out-come of dominance aggression in dogs », Journal of the American Veterinary Medical Association; 209 (6); Karen L. Overall, ouvr. cité; Debra F. Howitz (1996), « Aggressive behavior in dogs », American Animal Hospital Association Proceedings (AAHA). 
4. Morris, Desmond (1990), The Animal Contract: Sharing the Planet, Virgin: 60. 
5. P. Pageat, art. cité; C. Beata, art. cité; V. Dramard et L. Hanier, art. cité; A. C. Gagnon, art. cité
6. R. Dantzer (1995), « Stress et maladie », Pratique médicale et chirurgicale de l’animal de compagnie; 2. 
 7. M. Vanderheede, M (1996), « Réactions de peur chez les animaux d’élevage », Annales de Médecine Vétérinaire; 140; Karen L. Overall (1996), ouvr. cité
8. Karen L. Overall, ouvr. cité.